Comment le Québec est devenu une puissance mondiale en intelligence artificielle
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L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) explose à travers la planète alors qu’elle évolue pour devenir un outil essentiel pour une myriade de domaines et d’industries. Mais pour mettre en œuvre avec succès la technologie dans les opérations commerciales, les responsables informatiques doivent s’entourer d’experts mondiaux tout en créant un écosystème de pointe.
L’endroit où commencer à chercher de tels experts au Canada est le Québec, la puissance nationale de l’IA. Septième au monde – c’est là que la province se classe dans le Global AI Index publié par la firme britannique Tortue Media, un classement des pays les plus compétitifs en IA.
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Le 2021 Étude de tortue classe le Québec juste derrière l’Allemagne et la Corée du Sud et devant des puissances technologiques comme Israël, le Japon et la France. Le Canada arrive globalement au quatrième rang, une réalisation remarquable dont le Québec est un véritable moteur.
En décembre 2021, la supergrappe canadienne Échelles d’IA a annoncé que trois de ses quatre nouvelles chaires de recherche en intelligence artificielle seraient situées à Montréal : l’IA pour la mobilité urbaine et la logistique à HEC Montréal, la science des données pour le commerce de détail à l’Université McGill et les chaînes d’approvisionnement axées sur les données à Polytechnique Montréal.
Comment la province a-t-elle réussi cette ascension fulgurante? Selon Tortoise, il s’agit d’une combinaison de trois facteurs : la force de sa recherche fondamentale, où le Québec se classe au cinquième rang parmi la soixantaine de pays examinés; stratégies d’investissement gouvernementales réussies (sixième); et l’émergence d’une masse critique d’entreprises (septième).
Selon Marie-Paule Jeansonne, présidente-directrice générale de Forum IA Québec, l’écosystème de la province comprend maintenant plus de 550 entreprises d’IA. Il existe plus de 25 incubateurs, accélérateurs et fonds de capital-risque, ainsi que 45 organisations de soutien.
Même les poids lourds mondiaux du domaine – DeepMind, Google, Facebook, Microsoft, Samsung et Thales – n’ont pas pu résister à la recette québécoise et ont tous ouvert des centres d’IA à Montréal.
De l’université à l’entreprise
Autrefois un domaine tranquille dans le milieu universitaire, l’IA s’est développée rapidement dans les départements d’informatique du Québec au cours de la dernière décennie. L’Université McGill et l’Université de Montréal comptent actuellement plus de 300 chercheurs et doctorants en intelligence artificielle – la plus grande concentration de talents universitaires en IA au monde.
Parmi ces leaders internationaux, Yoshua Bengio est peut-être le plus connu. Pionnier du deep learning (DL) – qui consiste à simuler le fonctionnement du cerveau en construisant des réseaux de neurones artificiels – le professeur de l’Université de Montréal a remporté le prix Turing 2018. Il dirige l’Institut québécois d’intelligence artificielle (appelé Mila de son ancien nom, l’Institut des algorithmes d’apprentissage de Montréal), qui regroupe à lui seul plus de 900 spécialistes de l’apprentissage profond.
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Yoshua Bengio, professeur à l’Université de Montréal et pionnier de l’apprentissage profond
Josué Bengio
C’est cette variante plus avancée de l’intelligence artificielle qui a permis à la technologie de décoller à la fin du siècle dernier, à tel point que l’IA et la DL sont désormais souvent utilisées de manière interchangeable.
Œuvrant dans l’une des capitales mondiales du deep learning, de nombreuses entreprises québécoises se sont lancées dans les domaines utilisant cette technologie : reconnaissance et compréhension du langage naturel, analyse d’images médicales pour la détection du cancer, découverte de nouveaux biomarqueurs de diverses maladies, gestion intelligente des grands bâtiments, technologie numérique infrastructure de centre de données, aérospatiale, formation des pilotes et de nombreuses autres industries de pointe.
Philippe Beaudoin, président de Waverly IA, une startup qui s’appuie sur la compréhension du langage informatique, estime que Bengio a joué un rôle crucial dans l’émergence de l’écosystème québécois : « C’est évident, d’autant plus qu’il est la seule star mondiale de l’apprentissage profond à ne pas être directement liée à la Big Tech. C’est cette présence d’agent libre qui a permis à Montréal d’attirer l’attention des entreprises et des investisseurs.
« Il a également promu les valeurs humanistes et environnementales qui enflamment les brillants jeunes entrepreneurs en intelligence artificielle d’aujourd’hui. »
L’intelligence artificielle pour améliorer l’expérience client
IVADO, l’Institut pour la valorisation des données, également dirigé par Bengio, est un organisme panquébécois à l’interface du milieu universitaire et de l’entreprise privée. Cette organisation s’est avérée être un puissant catalyseur pour l’intégration commerciale de l’IA au Québec :
« IVADO a réuni les meilleurs chercheurs en IA des universités montréalaises – qui ont par la suite attiré beaucoup de talents et d’entreprises – et d’autres chercheurs qui étudient maintenant comment les humains utilisent les nouvelles technologies », a déclaré Sylvain Senécal, professeur de marketing à HEC Montréal et codirecteur de le Tech3Lab, le plus grand laboratoire universitaire mondial de recherche sur l’expérience utilisateur.
Le Tech3Lab est l’un des plus de 100 centres de recherche en IA au Québec. L’un de ses projets majeurs porte sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour comprendre la nature et l’intensité des émotions vécues par les utilisateurs des systèmes informatiques.
Pierre-Majorique Léger, professeur au Département des technologies de l’information de HEC Montréal, est codirecteur du laboratoire avec Senécal : « Les gens génèrent un gigaoctet de données par heure lorsqu’ils interagissent avec les systèmes informatiques », a-t-il expliqué lors du TimeWorld Global Congress on Artificial Intelligence en mai 2022 à Montréal. « C’est l’équivalent, en une heure, de toute l’Encyclopedia Britannica. »
L’IA est essentielle à la gestion d’une telle multitude de données, et l’effort peut être très payant. Selon Léger, prendre en compte l’expérience utilisateur dès la conception d’un nouveau produit, plutôt que de l’adapter sur toute la ligne, peut « réduire au centuple les coûts de l’entreprise ».
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Philippe Beaudoin, président de Waverly AI
Philippe Beaudoin
Une stratégie de financement gagnante
Les investissements gouvernementaux ont également contribué à propulser l’IA québécoise au sommet. Selon PwC Canada, les sommes investies ont été de plus de 800 millions de dollars entre 2017 et 2021, dont 500 millions de dollars du gouvernement fédéral. La moitié de cette somme a permis de financer divers centres de recherche, employant plus de 3 000 travailleurs qualifiés.
L’injection de fonds publics a eu un effet de levier important sur l’intégration de l’IA dans de nombreuses entreprises : le secteur privé a levé plus de 1,5 milliard de dollars en capital-risque pour les startups pendant cette période.
« Les stratégies fédérales et provinciales ont été extrêmement bien coordonnées », a déclaré Léger, dont le laboratoire est associé à IVADO et à la Fondation canadienne pour l’innovation. Il souligne notamment qu’il est plus facile au Québec qu’aux États-Unis de financer des projets de recherche ainsi que les infrastructures dont ils ont besoin, un avantage concurrentiel non négligeable.
Une génération d’entreprises innovantes
Element AI, cofondée par Bengio et Beaudoin, a également encouragé une toute nouvelle génération de professionnels de l’IA. « Nous avons attiré beaucoup de très bons talents internationaux qui n’étaient pas assez académiques pour les laboratoires universitaires », a déclaré Beaudoin. « En conséquence, nous avons permis à de nombreuses personnes de faire évoluer leur carrière pour intégrer davantage d’IA et de se former sur le terrain – face à de vrais clients et à des problèmes réels qu’ils pourraient résoudre avec l’IA. »
« Nous sommes vraiment entrés dans une deuxième phase de développement de notre écosystème avec cette multitude de nouvelles entreprises », a déclaré Jeansonne. Il s’agit notamment de startups développant des solutions d’IA allant des médias sociaux aux chaînes d’approvisionnement en passant par les services de soins à domicile.
« Tout cela me rend fier en tant qu’homme d’affaires, a déclaré Alain Lavoie, président de IA LexRockune entreprise qui développe des outils de traitement du langage naturel pour la gestion de documents.
Lavoie croit que la réussite du Québec repose sur le cercle vertueux recherche fondamentale/transfert technologique/commercialisation. « Ce qui est spécial dans le monde de l’IA, c’est qu’il va très vite. Une entreprise ne peut pas suivre toute seule », a déclaré Lavoie.
Pour ce faire, LexRock AI travaille également avec des universitaires ; c’est une collaboration extrêmement fructueuse, explique Lavoie, même si les besoins et les échéanciers des partenaires ne sont pas toujours les mêmes : « Il faut savoir concilier le sprint de l’entrepreneur avec le marathon du chercheur.
Dans quelle mesure l’IA québécoise est-elle durable?
Le Québec a-t-il tous les outils pour rester à l’avant-garde – ou aller encore plus loin? Jeansonne est prudemment optimiste : « Il reste encore beaucoup à faire. La prochaine phase est l’intégration de l’IA [in the entire economy] apporter ses avantages à toutes les entreprises.
Selon Lavoie, IVADO continuera de jouer un rôle crucial : « Cette organisation fait beaucoup pour le transfert de technologie », a-t-il déclaré – aidant les responsables informatiques à définir leurs projets, à gérer leurs attentes et à obtenir des subventions d’organisations vouées à la création de partenariats public-privé. – comme Mitacs, un organisme national de recherche lié à l’innovation industrielle et sociale.
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Forum IA Québec
Au Québec, une autre voie prometteuse consiste à relier spécifiquement l’écosystème de l’IA à de nouveaux domaines où les entreprises locales font leur marque. Annoncée au printemps 2022, l’E-AI initiative vise à intégrer l’intelligence artificielle dans l’industrie du divertissement; il comprend déjà l’éditeur de jeux vidéo Behaviour Interactive et le Conseil du cinéma et de la télévision du Québec – tous deux à Montréal.
Beaudoin compte sur l’expertise des leaders québécois pour propulser la prochaine phase de développement : « Je pense que dans les années à venir, nous nous rendrons compte de la qualité de notre écosystème. Ceux qui ont joué un rôle dans la première vague vont mettre leur nez partout : dans les grandes entreprises, dans les nouvelles start-up – et en tant que nouveaux leaders mondiaux.
À condition de maintenir la passion de l’innovation, a ajouté Beaudoin : « Nous risquons de devenir trop conservateurs dans nos projets futurs. Ce serait dommage de perdre l’énorme avantage que nous avons réussi à créer.
Traduction de Daniel Pérusse
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