Le procès HP-Autonomy : chronologie d’un désastre de fusions et acquisitions
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Au tournant du siècle, Autonomy Corporation était l’un des chouchous de l’industrie technologique britannique, spécialisée dans la gestion des connaissances et la recherche d’entreprises. L’entreprise s’est lancée dans une vague d’acquisitions au début des années 2000, augmentant ainsi son chiffre d’affaires, avant d’être elle-même engloutie par Hewlett-Packard en 2011, dans le cadre d’un accord qui l’a valorisé à plus de 10 milliards de dollars.
Mais cette histoire de misère à la richesse n’a pas de fin heureuse.
En fait, l’acquisition d’Autonomy par HP figure probablement parmi les fusions et acquisitions ratées les plus notoires.
À peine l’acquisition a-t-elle été finalisée que les revenus ont commencé à faiblir, ce qui a déclenché une enquête interne au cours de laquelle HP a découvert des signes de comptabilité créative passée chez Autonomy. Plutôt que de vendre des logiciels aux clients, a déclaré HP, Autonomy leur vendait du matériel à perte, puis comptabilisait les ventes comme revenus de licences logicielles.
Cette découverte a contraint HP à déprécier la valeur d’Autonomy de plus de 5 milliards de dollars, déclenchant une vague de poursuites judiciaires entre actionnaires. HP a à son tour poursuivi Mike Lynch, alors ancien PDG d’Autonomy, devant un tribunal britannique, et le ministère américain de la Justice a ouvert une enquête criminelle.
Les avocats débattent encore des dommages-intérêts devant le tribunal britannique, tandis qu’aux États-Unis, le procès pour fraude de Lynch ne fait que commencer.
Voici comment cela s’est déroulé.
Les années 1990 : mythe fondateur
1990 : Mike Lynch, un universitaire de Cambridge, en Angleterre, emprunte – du moins selon la légende – 2 000 £ pour lancer Cambridge Neurodynamics, puis développer le logiciel qui donnera plus tard naissance à Autonomy. Cependant, Companies House, le registre du commerce britannique, n’a aucune trace d’une telle société, et ce n’est qu’en 1997 que Lynch crée une autre société, appelée simplement Neurodynamics.
1996 : Lynch crée Autonomy Corporation au Royaume-Uni. Ses outils de recherche Internet Agentware sont utilisés par des entreprises telles que Barclays Bank et Unilever et vendus sous forme de logiciels emballés dans des points de vente au détail.
Juillet 1998 : L’introduction en bourse d’Autonomy sur l’EASDAQ valorise l’entreprise à 165 millions de dollars.
Les années 2000 : frénésie de dépenses
Septembre 2003 : Autonomy finalise l’achat du fournisseur de logiciels de gestion vidéo Virage et reconstruit le logiciel de l’entreprise sur sa propre plate-forme de gestion de données non structurées IDOL (Intelligent Data Operating Layer).
Mars 2004 : Autonomy acquiert NativeMinds et Cardiff Software.
Novembre 2005 : Autonomy s’engage à racheter le développeur de technologies de recherche Verity pour 500 millions de dollars, sa troisième acquisition de l’année après NCorp (en février) et etalk (en juin).
Mai 2007 : Autonomy cède son unité de logiciels grand public Blinkx lors d’une introduction en bourse.
Juillet 2007 : Autonomy paie 375 millions de dollars pour Zantaz, spécialiste de l’archivage de contenu et de la découverte électronique.
Octobre 2007 : Autonomy acquiert le spécialiste de la gestion de données Meridio pour 20 millions de livres sterling.
Janvier 2009 : Autonomy rachète le fournisseur de gestion de contenu d’entreprise Interwoven pour 775 millions de dollars.
Juin 2010 : Autonomy acquiert l’activité de gouvernance de l’information de CA Technologies.
Les années 2010 : l’autonomie en perte de vitesse
Septembre 2010 : Léo Apotheker, ancien PDG de SAP, est nommé PDG de HP.
Mars 2010 : Apotheker affirme vouloir transformer HP d’un producteur de matériel informatique en un fournisseur de logiciels et de services.
Mai 2011 : Autonomy se lance dans une dernière acquisition, celle du service de sauvegarde en ligne Iron Mountain Digital, pour 380 millions de dollars.
Juillet 2011 : Apotheker et Lynch concluent un accord pour vendre Autonomy à HP, et HP commence son examen diligente des finances d’Autonomy. Les avocats de Lynch affirmeront plus tard que les dirigeants de HP n’ont passé que six heures en conférence téléphonique avec son équipe.
Août 2011 : HP accepte d’acquérir Autonomy pour 42,11 $ par action, soit une prime d’environ 60 % par rapport au prix du marché.
Septembre 2011 : HP licencie Apotheker et nomme Meg Whitman PDG.
Octobre 2011 : HP achète 87,34 % d’Autonomy pour 5,44 milliards de livres sterling, valorisant l’entreprise à 10,3 milliards de dollars aux taux de change de 2011, bien que des rapports ultérieurs chiffrent le prix à 8,7 milliards de livres sterling, soit 11,7 milliards de dollars.
Mai 2012 : Un membre senior de l’unité Autonomy de HP fait part de ses inquiétudes concernant les pratiques comptables d’Autonomy. Whitman engage PricewaterhouseCoopers pour enquêter. Pendant ce temps, Whitman annonce le licenciement de 27 000 employés de HP pour réduire les coûts. Lynch fait partie de ceux-ci, pour « incapacité à atteindre les objectifs de performance convenus, y compris les indicateurs financiers ».
Novembre 2012 : HP prend une charge de dépréciation de 8,8 milliards de dollars, liant plus de 5 milliards de dollars à de graves irrégularités comptables, à de fausses déclarations et à des manquements de divulgation chez Autonomy découverts par une enquête interne menée par HP et un examen médico-légal des pratiques comptables d’Autonomy avant son acquisition. HP allègue que les fausses déclarations incluaient la vente à perte de matériel bas de gamme et l’enregistrement des transactions, censées représenter jusqu’à 15 % des revenus totaux d’Autonomy, en tant que licences pour le logiciel IDOL d’Autonomy.
Décembre 2012: HP affirme coopérer avec le ministère de la Justice, la Securities and Exchange Commission et le Serious Fraud Office du Royaume-Uni dans le cadre d’une enquête relative à l’autonomie.
Février 2014: HP Autonomy divise IDOL en services discrets.
Juin 2014 : HP accepte de régler les poursuites des actionnaires. Les plaignants acceptent d’aider HP à intenter des poursuites contre Lynch et Hussain, et HP accepte de renforcer son processus de diligence raisonnable pour évaluer les acquisitions. Les réclamations contre les dirigeants de HP seront abandonnées.
Janvier 2015 : Le Serious Fraud Office du Royaume-Uni annule son enquête sur Autonomy, affirmant qu’il dispose de « preuves insuffisantes pour avoir une perspective réaliste de condamnation ». Ce n’est guère une surprise dans la mesure où l’OFS a la réputation de ne pas parvenir à obtenir de condamnations.
Mars 2015 : Une fois l’enquête criminelle terminée, HP entame une action civile, poursuivant Mike Lynch pour 5,1 milliards de dollars devant la Haute Cour du Royaume-Uni, alléguant que Lynch avait gonflé les revenus d’Autonomy de 700 millions de dollars.
Juin 2015 : Hewlett-Packard Co. parvient à un règlement final avec PGGM Vermogensbeheer BV, le principal demandeur dans un recours collectif en valeurs mobilières concernant la charge de dépréciation de 8,8 milliards de dollars liée à l’acquisition d’Autonomy par la société. L’assurance de Hewlett-Packard versera 100 millions de dollars à ceux qui ont acheté des actions HP entre le 19 août 2011 et le 20 novembre 2012, libérant ainsi HP et ses dirigeants de toute réclamation relative aux titres liés à l’autonomie.
Novembre 2015 : Hewlett-Packard se sépare en deux sociétés, Hewlett Packard Enterprise (HPE) vendant des services et des serveurs d’entreprise, et HP Inc. (HPI) vendant des imprimantes et des PC. HPE assume la responsabilité du litige Autonomy, acceptant de partager tous les dommages-intérêts accordés avec HPI.
Mai 2016 : HPE vend son activité de services informatiques à CSC, formant ainsi DXC Technologies. OpenText rachète HP TeamSite, une plateforme de gestion de l’expérience client développée chez Interwoven avant son rachat par Autonomy, en la renommant OpenText TeamSite.
Septembre 2016 : HPE vend des actifs logiciels, y compris les restes de l’activité Autonomy, à Micro Focus, parmi lesquels IDOL.
Novembre 2016 : Un grand jury fédéral rend un acte d’accusation criminel contre Sushovan Hussain, l’ancien directeur financier d’Autonomy. Le grand jury allègue que Hussain, avec d’autres, a conspiré pour s’engager dans un stratagème frauduleux visant à tromper les acheteurs et les vendeurs de titres d’Autonomy et HP sur la véritable performance des activités d’Autonomy, sa situation financière et ses perspectives de croissance. Hussain et d’autres ont fait des déclarations fausses et trompeuses, entre autres, aux régulateurs et aux analystes de marché. L’acte d’accusation allègue que HP s’est appuyé sur l’exactitude et la véracité des déclarations et des divulgations pour déterminer s’il fallait acheter Autonomy et à quel prix.
Septembre 2017 : HPE vend finalement son activité logiciels, dont les actifs d’Autonomy ne représentent qu’une petite partie, à la société britannique Micro Focus International. HPE reçoit 2,5 milliards de dollars en espèces de Micro Focus, tandis que ses actionnaires reçoivent des actions Micro Focus d’une valeur d’environ 6,3 milliards de dollars.
Avril 2018 : Le grand jury fédéral déclare Hussain coupable. Il fait appel.
Novembre 2018 : Un grand jury fédéral inculpe Mike Lynch de complot en vue de commettre une fraude électronique et de multiples chefs d’accusation de fraude électronique, affirmant qu’il a fourni à HP des états financiers matériellement faux et trompeurs pour Autonomy alors que HP envisageait l’acquisition.
Novembre 2019 : Le jury fédéral ajoute une nouvelle accusation de fraude en valeurs mobilières, avec une peine de prison maximale de 25 ans, à son acte d’accusation contre Mike Lynch.
Décembre 2019 : Les États-Unis demandent au Royaume-Uni d’extrader Mike Lynch pour répondre à des accusations de fraude en valeurs mobilières, de fraude électronique et de complot.
Les années 2020 : résolution
Août 2020 : Une cour d’appel américaine a confirmé la condamnation pour fraude de l’ancien directeur financier d’Autonomy, Sushovan Hussain, et sa peine de cinq ans de prison pour 14 chefs d’accusation de fraude électronique et un de fraude en valeurs mobilières pour avoir faussement gonflé les revenus d’Autonomy.
Septembre 2020 : Le Financial Reporting Council du Royaume-Uni inflige une amende de 15 millions de livres sterling à Deloitte pour manquement dans son audit des comptes d’Autonomy entre janvier 2009 et juin 2011. Le problème concernait les ventes de matériel informatique et les ventes de licences de logiciels d’Autonomy à des revendeurs à valeur ajoutée plutôt qu’à des clients finaux.
Janvier 2022 : La Haute Cour du Royaume-Uni se prononce sur le procès civil d’HP, estimant que Mike Lynch avait frauduleusement gonflé la valeur d’Autonomy en trompant HP sur ses performances. Les dommages et intérêts seront décidés ultérieurement, après que le juge ait indiqué que la réclamation de 5 milliards de dollars de HP était excessive.
Plus tard le même jour, le ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni approuve l’extradition de Lynch vers les États-Unis pour qu’il fasse face aux accusations du grand jury.
Mai 2023 : Lynch est finalement extradé vers les États-Unis, un mois après que la Haute Cour a rejeté son appel. Il est contraint de verser une caution de 100 millions de dollars et de rester assigné à résidence.
Février 2024 : HPE réduit sa demande de dommages et intérêts dans le cadre de son action civile au Royaume-Uni à 4 milliards de dollars.
Mars 2024 : Le procès pénal de Lynch, portant sur 16 chefs d’accusation de fraude en valeurs mobilières, de fraude électronique et de complot, commence devant la Cour fédérale américaine à San Francisco. Aujourd’hui âgé de 58 ans, il risque jusqu’à 25 ans de prison.
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