Comment relever les défis du recrutement en TI au Québec
De nos jours, c’est formidable d’être un professionnel de l’informatique à la recherche d’un emploi au Québec. Mais pour les entreprises à la recherche de talents, c’est une autre histoire.
Fin 2021, le comité sectoriel TECHNOCompétences recensait quelque 13 000 postes disponibles en TI – dont environ 4 000 attendaient « des gens qui n’existent pas » selon Stéphanie Carle Tavera, directrice générale de l’organisme. Ces statistiques ne disent pas tout : le nombre d’emplois non affichés, l’augmentation des départs à la retraite et les besoins croissants des entreprises causés par l’évolution de l’économie sont autant d’inconnues.
Une chose est sûre, le marché est déséquilibré, estime Carle Tavera : « Il y a un déficit quantitatif et qualitatif global entre les postes à pourvoir et les qualifications des personnes disponibles.
Et cette surchauffe ne devrait que s’aggraver : selon les projections de CompTIA, le nombre total d’emplois en TI au Québec atteindra 288 905 en 2022, une augmentation de 4 061 par rapport à 2021. Mais qui va les combler?
L’ampleur du problème d’embauche en TI

Benoit De Césaré, executive vice-president at Randstad Canada
Benoit De Césaré
Alors que la pression se fait sentir dans tous les secteurs, certaines spécialités connaissent une pénurie particulièrement aiguë : le cloud computing, la sécurité, la science des données, l’IA et la gestion de projet. « Les codeurs sont également très demandés, mais pas aussi difficiles à trouver », explique Benoit De Césaré, vice-président exécutif de la firme de recrutement Randstad.
Cette pénurie n’affecte pas seulement les entreprises informatiques, mais également les organisations qui ont besoin de leurs services. Sylvain Viau, président fondateur de CIO Group et président de la section montréalaise de l’Association canadienne des DSI (CIOCAN), donne l’exemple de la transition vers l’infonuagique : « C’est un processus très exigeant. Les fournisseurs de solutions existants ne peuvent plus tout faire, nous non plus. »
La loi de l’offre et de la demande est impitoyable : la pénurie de main-d’œuvre qualifiée fait monter en flèche les taux de roulement. Alors que Carle Tavera estime que l’informatique vient tout juste de rattraper la mobilité des autres secteurs depuis la pandémie, certains domaines spécifiques, comme la sécurité, sont dans le chaos. « Avant, le taux de roulement était de 35 à 40 % par année », dit Viau, « maintenant il est de 50 %. Les gens vont et viennent. Dans un cas, j’en suis à mon quatrième gestionnaire de compte depuis janvier. »

Stéphanie Carle Tavera, executive director of TECHNOCompétences
Stéphanie Carle Tavera
En abolissant les frontières, le travail à distance oblige aussi les entreprises québécoises à concurrencer des géants qui recrutaient peu de talents sur le marché local parce qu’ils n’avaient pas de bureaux à Montréal ou à Québec. « Les joueurs internationaux ont un budget plus élevé parce que le dollar canadien vaut moins que le dollar américain », explique De Césaré. Le taux de change n’est pas le seul avantage dont disposent Microsoft et d’autres grands acteurs : pour certains professionnels, la perspective de passer quelques semaines sur la côte ouest chaque année peut être très attrayante, dit Viau.
Les spécificités québécoises
Bien que le vieillissement de la population et l’augmentation de la demande en TI soient des phénomènes mondiaux, certains facteurs propres au Québec aggravent le problème.
« Les règles d’immigration sont trop complexes, explique Michel Verreault, directeur général du Centre de développement en assurance et services financiers, un organisme qui regroupe des assureurs dont le siège social est situé dans la région de Québec. Quarante pour cent des entreprises ayant répondu à un récent sondage de l’Association québécoise des technologies s’attendent à ce que les gouvernements les aident, en accélérant par exemple l’octroi des permis de travail.
Il y a aussi des inquiétudes au sujet de la nouvelle loi linguistique 96. De Césaré pense qu’il est trop tôt pour prédire les conséquences, mais dit que les professionnels anglophones unilingues songent déjà à quitter Montréal. « Tout le monde essaie encore de comprendre les effets de la nouvelle loi », dit-il.

Michel Verreault, directeur général du Centre de développement en assurance et services financiers
Michel Verreault
Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, les stratégies industrielles du gouvernement du Québec pourraient également se retourner contre les entreprises locales. Subventions à la recherche et au développement, crédits d’impôt pour la production de jeux vidéo et avantages pour les entreprises d’intelligence artificielle : tout cela attire les investisseurs internationaux qui se font concurrence pour attirer les mêmes talents. « Le vide est créé par la volonté du Québec de subventionner les emplois en TI, dit Viau.
Comment recruter dans un marché chaud
Dans cet environnement, les organisations qui réussissent à acquérir de nouveaux talents sont celles qui sont flexibles.
« Les employeurs n’ont plus le luxe d’exiger tout ce qu’ils veulent », déclare De Césaré. Il conseille à ses clients d’être clairs sur leurs besoins essentiels et sur ce dont ils sont prêts à se passer. Les entreprises doivent également savoir comment vendre leurs projets aux candidats, budgétiser les surenchères et, surtout, agir rapidement pour éviter qu’un concurrent plus agile ne les coupe. « Nous ne pouvons plus nous permettre des processus d’entrevue de trois ou quatre semaines », dit-il.
Ce besoin de flexibilité se reflète également dans le recrutement international et le développement du travail à distance. Certaines entreprises locales recrutent en France, dans les pays du Maghreb, en Afrique subsaharienne – partout où il y a des spécialistes francophones. Et peu importe si ces perles rares résident à Alma ou à Abidjan, il n’est pas question d’exiger un déménagement au siège social. « Nous les emmenons là où ils sont », dit Verreault, même si cela ne signifie que des visites occasionnelles.
La concurrence exige également des entreprises qu’elles soient très innovantes pour attirer de nouveaux employés. Les compagnies d’assurance membres de l’organisation de Verreault ont contacté les départements de génie logiciel de l’Université Laval et de différents cégeps pour promouvoir des carrières et des projets dans l’industrie de l’assurance. Ils ont également développé des programmes de formation qui permettent à certains de leurs collaborateurs, notamment les femmes dont l’emploi est compromis par la transition numérique, d’acquérir de nouvelles connaissances et de poursuivre de nouvelles carrières.
Ce type d’intervention directe va dans le sens de ce que Carle Tavera préconise pour l’ensemble de l’économie : « Nous devons introduire une culture d’apprentissage dans nos organisations » pour favoriser les parcours professionnels horizontaux et, par conséquent, la rétention des employés.
Les stages intégrés aux programmes de formation postsecondaire sont aussi une stratégie de recrutement efficace, mais non sans risque pour les candidats. « Le danger, dit Verreault, c’est que l’entreprise embauche l’étudiant à temps plein avant la fin du programme. Sans diplôme, il devient plus difficile d’avancer dans une carrière.
La chasse aux perles rares
Les entreprises doivent également être flexibles afin de répondre aux attentes des candidats. Le quotidien La Presse a récemment présenté le cas de Tootelo Innovation, qui offre des avantages « à la carte », dont des congés annuels pouvant aller jusqu’à huit semaines à l’embauche.
« La flexibilité est un concept qui est unique à chaque individu », déclare De Césaré. « Horaires flexibles, travail à distance, avantages sociaux importants, voyages internationaux – tous ces facteurs peuvent gagner la bataille. »
Un rapport TECHNOCompétences 2021 montre que 23% des informaticiens recherchent d’abord une vie équilibrée, 23% recherchent un salaire élevé et 16% privilégient le développement professionnel. Mais la bulle salariale ne cesse de grossir, créant des maux de tête sans fin pour les employeurs. Les exigences salariales nécessaires pour pourvoir certains postes clés peuvent avoir une incidence sur les priorités de l’entreprise et entraîner des problèmes d’équité interne, dit De Césaré.
Selon le spécialiste des RH, les candidats d’aujourd’hui prennent même le temps d’enquêter sur les entreprises auxquelles ils postulent. Leurs stratégies de recherche varient selon l’expérience : les juniors misent sur l’image médiatique des entreprises, les seniors sur le bouche à oreille. Dans les deux cas, « la marque de l’entreprise passe avant tout », explique De Césaré.
Des solutions à long terme à la crise informatique
Toutes les projections indiquent que la pénurie de TI au Québec durera encore plusieurs années. Pourrait-il être inversé?
Randstad VP De Césaré est catégorique : « Nous avons besoin d’un afflux de talents qualifiés, que ce soit via le programme scolaire ou via l’immigration.
Verreault favorise la création de formations en ligne ou hybrides, qui permettraient aux personnes de 30 à 35 ans en famille et vivant à l’extérieur des grands centres d’acquérir des compétences en TI sans avoir à se déplacer. Il mise aussi sur le développement d’une formation accélérée pour les métiers critiques, basée sur les passerelles DEC-BAC qui permettent aux étudiants d’obtenir des diplômes collégiaux et universitaires en un an de moins que la normale.
Viau recommande d’alléger la pression en resserrant les critères d’octroi des subventions gouvernementales à la R&D afin d’empêcher les multinationales d’utiliser l’argent pour produire de la propriété intellectuelle qui ne restera pas au Québec.
Quant à Carle Tavera, elle envisage une stratégie à trois volets. D’abord, intégrer la technologie dans les connaissances de base, dès l’école primaire. Deuxièmement, rendre le marché plus résilient en accueillant des immigrants qualifiés, en encourageant les professionnels à retarder la retraite et en trouvant des moyens de pérenniser les opérations malgré le roulement du personnel. Troisièmement, faire de la transition numérique une véritable stratégie d’entreprise, qui permettrait de mieux cibler les besoins en recrutement.
« L’écosystème québécois compte aussi un nombre croissant de travailleurs autonomes, surtout les plus expérimentés qui sont en forte demande », dit-elle. « C’est une tendance que nous devons surveiller. »
Traduction de Daniel Pérusse
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